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Carnet de Festival du Film Américain de Deauville, jour 4

7 septembre 2021 : aujourd'hui, la journée est placée sous le signe de l'enfance, du rire et de la liberté. Dans Down With the King, un rappeur essaie de retrouver sa conviction d'enfant, et dans Potato Dreams of America - au titre aguicheur - le jeune Potato, alias le réalisateur, poursuit son but ultime : tourner un film sur sa vie. Deux films en compétition qui parviennent à marquer les spectateurs par leur envol comique sur des sujets bien sérieux.



Down With the King, de Diego Ongaro / (Compétition - Grand Prix), en salle prochainement


Money Merci (Freddie Gibs) et Bob Tarasuk, dans Down With the King, de Diego Ongaro, 2021. Breaker / Inside Voices


Down With the King c’est l’histoire d’un célèbre rappeur, interprété par Freddie Gibs, qui, la trentaine passée, est assailli par les doutes. Pourra-t-il faire un nouvel album ? Retiré dans les montagnes où son agent l’a envoyé pour qu’il se décharge du stress accumulé, « il n’y a pas un noir à dix kilomètres à la ronde ». Les fermiers sont tous blancs - première confrontation qu’il n’avait jusqu’ici jamais eu. En exerçant des tâches d’agriculteur, Money Merc renoue avec le métier de son grand-père qu’il regrette de n’avoir pas connu, et se ressource fondamentalement. Au point même de vouloir quitter le milieu de la musique, ce qui évidemment déplaît à son agent. La nature est puissante et résider à ses côtés l’espace de quelques semaines, donne une nouvelle vision de la vie en ville ; plus on s’en éloigne, plus elle révèle son vrai visage. Il est clair qu’elle n’est qu’une fumisterie, et le milieu du rap, une caricature de lui-même - la scène où Money Merc cherche des paroles, tout en haut d’une montagne est cocasse, les insultes dénotent du paysage. Couper du bois, donner à manger aux vaches, brûler le feu dans son âtre, puis faire cuire sa propre côte de bœuf, ces joies quotidiennes n’ont aucune commune mesure avec l’illusion qui creuse les trottoirs de la rue - raccordée par la connexion téléphonique, calvaire de ses lives Instagram et appels avec son agent. Car cette rue, Money Merc a toujours voulu la fuir dès son plus jeune âge. Pensant qu’il y parviendrait en rappant, il se rend à l’évidence qu’il le ramène là d’où il vient. Le téléphone peut aussi être le lieu de l'échange avec sa mère et avec sa fille, peut-être est-ce pour cela qu'il garde toujours près de lui sa statue antique de Mercure (écho à son prénom) augmentée d'un téléphone portable.


Le film s’ouvre sur l'écorchement d’un cochon, suspendu au plafond de la grange de Bob, un fermier avec lequel Money Merc échangera sur beaucoup de choses : de la vésicule biliaire qu'il ne faut surtout pas percer, au flow de musique à laisser traverser le corps détendu pour optimiser le rap. En ce début d’automne, un cycle se termine pour Money Merc, et malgré la pression de son agent et l'animosité du milieu « la seule musique où tu peux être descendu du jour au lendemain », Money Merc se plait à vivre caché, découvrir des gens simples, et se rapproche du chant des oiseaux. De nombreux pics lui font lever le nez et écouter la nature d’une tout autre oreille, et une moufette lui permet de regarder en face ses propres failles. Si le film achoppe les clichés du milieu du rap, c’est pour mieux les déconstruire, avec finesse et beaucoup d’humour. Montrer un rappeur vulnérable, c’est lui retirer son statut de sur-homme et in fine, le libérer de ce poids. Le réalisateur a, de son propre aveu, été inspiré par un article du journal Le Monde qui relatait les propos désillusionnés du tout jeune rappeur OrelSan.


Enfin, dans le titre, down with signifie littéralement être d’accord avec. "Down with the king" est une chanson de Freddie Gibs, mais cela évoque aussi la chute. De chute, que nenni pour Freddie qui, acceptant de passer devant la caméra est la révélation du film et verra certainement une nouvelle voie se tracer. Son improvisation, pleine d’audace, et son sérieux redonnerait presque une nouvelle teneur à la nature même. Sélectionné à l'ACID du Festival de Cannes 2021, puis en compétition à Deauville, on se demande en bon droit s'il remportera un des cinq prix décernés le 12 septembre.


* Down with the king a remporté le Grand Prix de cette 47ème édition du Festival du Film Américain de Deauville. Le jury est composé de Bertrand Bonello, Delphine de Vigan, Mikhaël Hers, Garance Marillier, Fatou N'Diaye, Denis Podalydès - de la Comédie Française - Marcia Romano, SebastiAn, sous la présidence de Charlotte Gainsbourg.


Potato Dreams of America, de Wes Hurley / (Compétition), en salle prochainement


Potato (Hersh Power) et Lena (Sera Barbieri) dans Potato Dreams of America, de Wes Hurley, 2021. The Film Sales Com­pa­ny

Lena, une jeune mère d'un fils de 9 ans qu’elle surnomme avec amour « Potato », essaie de joindre les deux bouts en poursuivant son travail de docteure dans les prisons de la sordide ville de Vla­di­vos­tok, vers la fin de l’URSS. Mère et fils tiennent grâce à deux choses, leur lien indéfectible et les films Américains. Le fils se promet de faire un film sur sa vie, et sa mère souhaite quitter à tout prix la Russie, même après la chute de l’URSS pour éviter à son fils d’entrer dans l’armée russe. Mariée avec un Américain grâce à de petites annonces par courrier, l’Amérique sera alors le lieu d’apprentissage de la sexualité pour le fils, et la sauvegarde de l’indépendance pour la mère.


Ce film trouve des ressorts insoupçonnés pour nous faire sourire, rire, voire rigoler. Et qu'est-ce qu'un film peut espérer de plus qu'émouvoir tout en faisant rire, car contrairement aux larmes, le rire permet de démocratiquement toucher un plus large public. Moi qui ne suis aucunement conquise par les films comiques, Potato Dreams of America a tout de même réussi à m'embarquer et me surprendre - bien malgré moi. Je résistais, jusqu'à me rendre compte que l'aspect théâtral fonctionnait beaucoup trop bien dans la première partie, et que le jeu des acteurs, impeccable, m'a fait rire à mon insu. Surprise d'être entraînée dans ce récit autobiographique écrit il y a plus de dix ans, et réalisé avec une grande intelligence - tourné dans un ancien entrepôt pour réduire au maximum les frais, afin de pouvoir présenter son film-chair dans des festivals - je ressens que Wes Hurley a pris le temps d'accomplir le film de ses rêves. Laissant voguer une partie de lui-même, comme tout autre artiste lorsque ça parle d'évènements biographiques, Wes Hurley a cela de singulier qu'il l'a sublimé par son art visuel. Fraîche et torride, d'un humour sans borne, la scène de sexe gay est par exemple une pépite.


Lors de la conversation avec les comédiens et comédiennes principaux du film, les spectateurs sont souvent revenus sur les comparaisons de Potato Dreams of America avec les films de Wes Anderson, Jojo Rabbit ou encore de Douleur et gloire d’Almodovar. Mais comparaison n’est pas raison, et Léa de Laria (vu dans Orange is the new black) qui interprète la mère de Lena, de rappeler que le style visuel du film appartient à une catégorie, celle des films surréalistes. Elle ajoute espérer que le cinéma d’avant-garde aura encore de beaux jours devant lui, qu’il y en aura davantage et qu’on cessera de les comparer entre eux sans les regarder de plus près. Effectivement, Potato aborde des sujets très profonds, qui arrivent sur le ton d’une comédie mais qui s’estompe quelques secondes pour laisser place à un gouffre - brutalité et différences - avant de reprendre son ton gai et enlevé.

Le film fait réfléchir, et en sortant d'un bain de mer, je pense au corps qui nous constitue de fait, et à l'injustice que peuvent éprouver certaines personnes qui ont l'impression d'être né avec le mauvais sexe. Me revient en tête les récentes phrases d'Elliot Page (incarnant Juno en 2008, et qui a officiellement changé de sexe l'an passé). Il voulait souligner que c'est un film, But I’m a Cheerleader, qui, à 15 ans, l’a sauvé. Il est donc crucial que ces films existent, car gardons à l'esprit que Potato Dreams of America va, à coup sûr, aider beaucoup de gens - jeunes et moins jeunes - à accepter leurs sensations, à être en paix avec eux-mêmes, trouver le corps qu'ils souhaitent. Parvenir à s’aimer et éviter une autodestruction, le cinéma semble aussi là pour ça.


Apolline Limosino



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