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"Cold War" de Paweł Pawlikowski. Le temps d'une vie

Après avoir frappé les esprits avec son précédent opus, Ida (2013), Pawel Pawlikowski signe à nouveau un film radical, tout de noir vécu.


Viktor (Tomasz Kot) et Zula (Joanna Kulig) dans Cold War (Zimna Wojna) de Pawel Pawlikowski, 2018. © DIAPHANA DISTRIBUTION

Musique et mises en scène


Les premières images du nouveau film de Pawel Pawlikowski nous plongent d’emblée dans l’antre de la Pologne. La neige est partout, le froid englobe les petits villages et s’éprouve jusque dans la gorge des polonais lorsqu’ils chantent. Toutes ces chansons sont recueillies à même le peuple par le protagoniste et son compère. C’est l’histoire de la passion de Viktor pour les voix. Et sa route le mène à Zula, jeune femme au passif trouble.


Il est tout de suite charmé par sa voix sensuelle et sa fougue. Subjugué, il se met à l’aimer. Réciproquement, Zula commence à ne plus pouvoir arrêter de poser son regard sempiternellement lourd sur celui dont elle tombe amoureuse. Lorsqu’il s’endort dans l’été polonais, allongé dans l’herbe, elle reste éveillée, le regarde toujours, avec son visage sérieux et réfléchi. Et quand il la laisse, furieux par ce qu’elle vient de lui avouer, elle sait le faire revenir sur ses pas, en se jetant dans l’eau de la rivière et se laissant porter par le courant, chantant de sa plus belle voix le premier chant qui fit chavirer son cœur, cela elle le sait, le fera toujours revenir. Et il rebrousse effectivement chemin pour la rejoindre. Au coin du feu elle peut ainsi toujours enfoncer son regard en lui, son manteau sur ses épaules pour la réchauffer, cheveux mouillés et regard sibyllin. Ou encore bien plus tard, dans leur chambre de bonne à Paris, elle qui n’en démord pas de lui porter toute son attention, il lit consciencieusement dans le lit, et elle à côté, elle attend peut-être la preuve de son amour, soucieuse maladie qu’est la dévotion, pense-t-elle. `


Zula (Joanna Kulig) et Viktor (Tomasz Kot) dans Cold War (Zimna Wojna) de Pawel Pawlikowski, 2018. © DIAPHANA DISTRIBUTION

Ellipses


Mais ils vivent dans un monde impénétrable, qui brouille toutes les pistes, et leurs pas se perdent au grès des années. Car leur amour, mis à l’épreuve par la guerre froide et ses frontières, se ruine peu à peu. Leurs expériences se contredisent, l’impasse les guette à chaque instant. Alors quand il est question de fuir la Pologne pour gagner Paris et sa mondanité, leur amour se cogne contre un mur. Car si lui décide de partir, elle n’arrive pas à quitter son pays. Et déjà le premier serment qu’elle lui avait fait se brise : « Je te suivrai n’importe où dans le monde, toute la vie ».


Traqués par leurs sentiments, ils se perdent en URSS mais se retrouvent des années plus tard à l’Ouest. Cold War relate merveilleusement bien, par ellipses, un amour dionysiaque, éperdu par l’absurdité terrifiante des codes de la guerre froide. La vie de Viktor et Zula devient une traque qui les fait devenir le simulacre d’eux-mêmes car le régime communiste se referme sur leurs âmes. C’est alors seulement lorsqu’ils décident d’aller « de l’autre côté pour admirer une plus belle vue » ; lorsqu'ils s’échappent de l’écran même et de l’ombre dictatoriale qui planait sur eux depuis le début de leur amour, qu'ils recouvrent leur liberté. Et la dévore.

Viktor (Tomasz Kot) et Zula (Joanna Kulig) dans Cold War (Zimna Wojna) de Pawel Pawlikowski, 2018. © DIAPHANA DISTRIBUTION

Apolline Limosino

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