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Carnet de Festival du Film Américain de Deauville, jour 7


10 septembre : Au programme, le 13ème et dernier (déjà) film en compétition, John and The Hole, de Pascual Sisto, une fable sur le devenir-adulte, suivi d'un film projeté dans le cadre de L'heure de la Croisette, bouleversant Julie (en 12 chapitres) The Worst Person in the World de Joachim Trier.



John and The Hole, de Pascual Sisto / (Compétition - Prix de la Révélation) en salle prochainement


John (Charlie Shotwell) dans John and the Hole, de Pascual Sisto, 2021. IFC Films


Qu'est-ce qu'être adulte ? Qu'est-ce qu'on ressent quand on passe directement de l’enfance à l’âge adulte, sans passer par l’adolescence ? Voilà les questions qui obsèdent secrètement ce jeune garçon nommé John. Fils de bonne famille, sa grande maison, ultra moderne, vit à la lisière d'un bois. Taciturne, John semble réservé mais son calme profond dissimule un malaise. Ce qu'il aime c'est être dans un monde différent qui lui montre une autre réalité : casque de drone qui lui permet de piloter avec l'impression d'être un professionnel, et jeux de tennis sur écran, interposé par les manettes plutôt que la force physique. Pourtant, John vise de hautes qualifications avec son entraîneur de tennis.


Deux histoires s'entrecroisent, ce qui rend du souffle à cette composition où le silence règne en maître et les choix de John restent flottants. En voyant ce film, je pense au théâtre, je visualise les comédiens sur des planches, sur une scène. J'ai également pensé à un livre pour enfant, je vois d'épaisses pages destinés à ouvrir l'imaginaire des enfants, des dessins extraordinaires pour une histoire qui ne l'est pas moins : mettre sa famille dans un trou au cœur de la forêt, trou appartenant à un chantier de bunker délaissé. Je devine que ce film a un pouvoir, un pouvoir de fable, de conte pour enfant. Car comment expliquer les questionnements qui s'imposent à nous lorsque l'on grandit ?


Pascual Sisto parvient donc à maintenir ensemble trois formes d'art - la théâtralité, la fable et le film - en une seule œuvre, à la surface lisse, filmée en 1.33 pour rendre les plans serrés, donnant l’impression au spectateur de ne jamais vraiment sortir du trou, comme la famille de John. Belle œuvre pour un premier long métrage. Ce plasticien d'origine espagnole, exposé au Centre Pompidou et la 53ème Biennale de Venise, marque alors les spectateurs avec une technicité qui suit la qualité du récit narratif. L'arrivée tardive du titre du film nous surprend, comme d'ailleurs la "triple fin" qui nous laisse croire à plusieurs reprises que le film est terminé et nous nous fourvoyons à applaudir au mauvais moment. Ces trois fins possibles sont une suspension du temps qui déploie avec finesse les tissages potentiels de la trame principale. Là encore, comme dans d'autres films de la compétition, l'ouverture finale est multiple, et le spectateur est amené à réfléchir par trois fois. Dès lors, ne serait-ce pas non plus une fable mais un conte philosophique en somme ? Car c'est en effet une histoire fictive, une critique des mœurs de la société - pour qui les adultes se prennent-ils ? De quoi les somnifères taisent-ils le nom ? Cette sorte de "drogue" symbolise-t-elle les manquements que les parents peuvent avoir envers leurs enfants ? Ou bien symbolise-t-elle la propension qu'ont les adultes de se soigner eux-mêmes, de se croire supérieur tout en cachant des failles latentes, ou encore de perdre les choses simples et instinctives de la vie d'enfant comme le sommeil, le repos ?


Enfin, le film innove par son choix de silence : la musique n'est pas un ajout au matériau visuel, il est uniquement lié à l'histoire elle-même. En d'autres termes, il n'y aucune musique, exception faite des scènes où John joue du piano ou écoute la musique dans la voiture qu'il conduit sans permis. Ce qui choque encore, c'est le silence du générique. En cela, le film rompt-il avec certains codes du cinéma ? A la place de chansons, le bruit de la nature - oiseaux qui gazouillent dans les arbres - de la dernière scène se poursuit tandis que les noms de l'équipe du film défilent, en bleu. Le bleu est la couleur primaire du film, dans le double récit il en est beaucoup question puisqu'on y cherche à décortiquer des rêves fait de bleu ; puis dans le récit principal le bleu est dans nombre de scènes. On se demande d'ailleurs si la piscine - qui n'est guère un terrain de jeu mais un lieu d'expérience : John et son copain y recherchent la sensation de mourir en se noyant - est-elle le creuset inverse du trou dans lequel est projetée sa famille ? Finalement, le film se demande peut-être, mais qu'est-ce qui fait qu'une famille arrive à garder la tête hors de l’eau ?


* John and the Hole a reçu le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation. Le jury est composé de Céleste Brunnquell, India Hair, Kacey Mottet Klein, Lomepal, sous la présidence de Clémence Poésy.



Julie (en 12 chapitres)The Worst Person in the World, de Joachim Trier / (L'heure de la Croisette), en salle le 13 octobre 2021


Eivind (Herbert Nordrum) et Julie (Renate Reinsve) dans Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, 2021.


Après son bel Oslo 31 août (2012), Joaquim Trier signe à nouveau un film du même registre où la légèreté de la narration se transforme soudainement en drame. Inspiré, nous dit-il, d'Un homme et une femme (1966) de Claude Lelouche, Julie (en 12 chapitres) dépeint l'histoire d'une jeune femme de 30 ans qui trouve difficilement sa place, tant professionnellement qu'amoureusement. En 12 chapitres, un épilogue et un prologue, un drame romantique se noue et nous bouleverse. Julie pense être la pire personne au monde, et la stabilité que lui procure Axsel (interprété par Anders Danielsen Lie, vu dans Bergman Island récemment) auteur de Bandes Dessinées à succès, ne lui suffit pas à trouver foi en elle. Pourtant, il est une enveloppe de velours qui l’aime à tout rompre. Il l'aime tant qu'il lui propose de ne pas s'engager dans leur histoire d’amour, pour éviter qu'elle s'empêche de vivre sa vie. Effectivement, Aksel a 15 ans de plus que Julie et leur différence d’âge va malencontreusement asservir Julie à vouloir vivre une passion amoureuse avec un homme plus jeune, le dénommé Eivind.


Jamais mièvre, alors que le début alerte sur une possibilité de sirop romantique, Julie (en 12 chapitres) effleure même des séquences magiques. L'une d'elle parvient à arrêter le temps, livrant à quel point l'amour a une conséquence drastique sur le passage du temps : le bloquant comme ce n'est pas permis. Une autre séquence, vers le fin du film, nous soumet au temps assassin en suivant les deux personnages dans des lieux différents - chambre d'hôpital, parc, cafétéria puis retour dans la chambre - tout en maintenant leur conversation, dont le fil nous déchire de larmes. Finalement, devenir adulte c'est aussi cela, savoir que le temps est à la fois nécessaire, mais aussi cruel. Il nous apprend également à mieux nous cadrer afin de reconnaître l'amour de sa vie. Les choses auraient pu être belles si des deux rencontres de Julie, celle d'Aksel avait suivi celle d'Eivind, et non l'inverse.


Apolline Limosino

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