Que s'est-il passé pour que le premier film avec Freddie Gibbs ne sorte finalement pas en salles ? Cela tiendrait à de regrettables choix financiers, nouvelle preuve, s'il en faut, du mauvais état de l'industrie cinématographique américaine.
Money Merci (Freddie Gibbs) et Bob Tarasuk, dans "Down With the King", de Diego Ongaro, 2021. Breaker / Inside Voices
Des pics aux failles
Down With the King c’est l’histoire d’un célèbre rappeur, interprété par Freddie Gibbs, qui, la trentaine passée, est assailli par les doutes. Pourra-t-il faire un nouvel album ? Retiré dans les montagnes du Massachusetts où son agent l’a envoyé pour qu’il se décharge du stress accumulé, « il n’y a pas un noir à dix kilomètres à la ronde ». Les fermiers sont tous blancs - première confrontation qu’il n’avait jusqu’ici jamais eu. En exerçant des tâches d’agriculteur, Money Merc renoue avec le métier de son grand-père qu’il regrette de n’avoir pas connu, et se ressource fondamentalement. Au point même de vouloir quitter le milieu de la musique, ce qui n'est évidemment pas du goût de son agent.
Le film s’ouvre sur l'écorchement d’un boeuf, suspendu au plafond de la grange de Bob, déjà le protagoniste du précédent film de Diego Ongaro, filmé dans ses mêmes montagnes « Bob and the trees » (2015). Bob, donc, est un fermier avec lequel Money Merc échangera, contre toute attente, sur beaucoup de choses : Bob lui prodigue ses conseils pour ne surtout pas percer la vésicule biliaire de la bête, quand Money lui dévoile ses secrets pour bien rapper : détendre son corps et laisser venir le flow. En ce début d’automne, un cycle se termine pour Money Merc, et malgré la pression de son agent et l'animosité du milieu du rap « la seule musique où tu peux être descendu du jour au lendemain », Money Merc se plait à vivre caché, découvrir des gens simples, et se rapprocher du chant des oiseaux. Si de nombreux pics lui font lever le nez et écouter la forêt d’une tout autre oreille, une moufette - oui, ce mammifère à l'odeur pestilentielle - lui permet de regarder en face ses propres failles.
À mesure que Money Merc est traversé par la nature, il sent que la ville n'est qu'une vaste fumisterie, au sein duquel le rap s'évertue de devenir une caricature de lui-même. La fameuse scène où Money Merc cherche les paroles de ses prochains titres, tout en haut d’une montagne est particulièrement cocasse, les paroles qu'il lance en slamant dénotent du paysage tranquille où les arbres nus, en dormance pour l'hiver, reçoivent ses insultes sans un émettre un bruit.
Gangster rural
Couper du bois, donner à manger aux vaches, brûler le feu dans son âtre, faire cuire sa propre côte de bœuf, voilà des joies quotidiennes qui n’ont aucune commune mesure avec l’illusion qui silonne les trottoirs de la rue - raccordée par la connexion téléphonique, calvaire de ses lives Instagram et appels avec son agent. Car cette rue, Money Merc a toujours voulu la fuir dès son plus jeune âge. Pensant qu’il y parviendrait en rappant, il se rend à l’évidence qu’il le ramène là d’où il vient. Le téléphone peut aussi être le lieu de l'échange avec sa mère et avec sa fille, peut-être est-ce pour cela qu'il garde toujours près de lui sa statue antique de Mercure (écho à son prénom) augmentée d'un téléphone portable.
Money Merci (Freddie Gibbs) dans "Down With the King", de Diego Ongaro, 2021. Breaker / Inside Voices
Bien que le scénario achoppe les clichés du milieu du rap, c’est pour mieux les déconstruire par la suite, avec finesse et beaucoup d’humour. Montrer un rappeur vulnérable, c’est lui retirer son statut de sur-homme et in fine, le libérer de ce poids. Le réalisateur a d'ailleurs été inspiré par un article du journal Le Monde qui relatait les propos désillusionnés du tout jeune rappeur OrelSan.
À l'origine, "Down With the King" est une chanson de Freddie Gibbs, évoquant la "chute du roi". De chute, que nenni pour la star qui, acceptant de passer devant la caméra de Diego Ongaro est la révélation du film. Son talent - les raps du film sont des improvisations de Freddie Gibbs durant le tournage - serties d'un sérieux toujours juste, le lanceront certainement sur une nouvelle voie. Présenté au Festival de Cannes dans la sélection ACiD (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), cette-dernière regrette la sortie du film en VOD, sans passer par les salles au préalable. "Down With The king" a aussi remporté le Grand Prix de la 47ème édition du Festival du Film Américain de Deauville - avec un jury composé de Bertrand Bonello, Delphine de Vigan, Mikhaël Hers, Garance Marillier, Fatou N'Diaye, Denis Podalydès - de la Comédie Française, Marcia Romano, SebastiAn, sous la présidence de Charlotte Gainsbourg.
"Down With the King" de Diaego Ongaro, avec Freddie Gibbs , Bob Tarasuk , Jamie Neumann , David Krumholtz et Sharon Washington, est disponible en VOD depuis le 12 septembre 2022.
Apolline Limosino
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