Raphaël © Les Bouffes du Nord
Est-ce Saint-Raphaël ou son fantôme qui entre sur scène ? Nul ne le saura jamais. Raphaël Haroche, étymologiquement « Dieu guérit la tête » est fait de miel et de mystères. Avançant à pas de sioux sur le plateau, il semble sans âge. Au centre du plateau, une cabine d’ingénieur du son – signe mortuaire s’il en est - et derrière, une toile où sont projetées des vidéos de la jungle puis de la mer, étale et mélancolique, qui rappelle son lancinant désir de Retourner à la mer. Partout autour, des bobines tournent sans fin, jusqu’à l’absurde, s’évertuant à enregistrer la bande son d’une vie. Sur la gauche il y a un piano – dont les touches jouent toutes seules, évoquant l’aspect fantomatique du pianiste. Sur la droite, les guitares sont illuminées d’un doux halo formé par trois bougies. La démarche du chanteur nous laisse deviner son trac, coincé entre son cœur et son smoking. Sa gorge doit être légèrement rafraîchie par un alcool fort, un Whisky, de ceux qui le détendent juste avant qu’il ne commence à chanter. Micro collé à sa bouche, de sa gorge une voix gracile et grave, comme taillée dans la roche, coule dans nos oreilles. Raphaël prend place dans le décors comme dans un tableau de vanité. La mort est partout, dans l'exosquelette de ses paroles, dans le décors – les bobines sont là pour nous rappeler d’enregistrer la voix avant qu’il ne soit trop tard, et la caméra, de vite enregistrer le corps. La mort rode même dans l’air, empreint d’une voluptueuse fumée. Saint Raphaël « reconnait les morts à leur voix » et parvient même à faire revenir sur terre son ami décédé qui vient lire au micro la chanson écrite après sa mort, "Quel genre d'ami ferait ça ?". La « Bande magnétique » devient dès lors une séance de spiritisme. Raphaël rend la vie aux morts, mais lui-même n’a jamais été aussi proche du Jugement dernier. C’est ainsi que l’on peut comprendre les saillies théâtrales d'un homme qui se présente comme le remplaçant de son ingénieur du son. Le coupant en plein milieu de ses chansons, Raphaël est obligé de lui expier ses péchés comme s'il se trouvait, sans le savoir, au purgatoire. À l’entendre réinterpréter des chansons qui ont plus de dix ans, l'âme de Raphaël est aussi vulnérable que protégée. Ses chansons deviennent des expériences à part entière, où son art du renouvellement se mêle à une autodérision savamment distillée. L’enregistrement n’est pas terminé, mais le concert est déjà fini. Raphaël, ou serait-ce son fantôme, s’agenouille devant le chandelier. Il souffle, l'une après l'autre, les flammes des bougies. Le temps est à présent consumé, il fait nuit. Il est l'heure d'y aller mais Raphaël nous retient un instant encore, entonnant une dernière chanson avant de se retirer.
Apolline Limosino
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