Septième long-métrage de Sean Baker, Red Rocket a été sélectionné en compétition au 74ème Festival de Cannes et au Festival de Deauville où il a remporté le prix de la Critique et le prix du Jury. Le réalisateur signe un film jubilatoire, bien plus philosophique qu'il ne le laisse paraître. Derrière sa facture comique et surréaliste, un drame se joue à notre insu. Conseil : relevez le prix des donuts, indices disséminés ça et là, et ne vous cantonnez pas à une seule interprétation de l'histoire.
Mikey Saber (Simon Rex), dans Red Rocket de Sean Baker, 2021. Productions, LLC
Survivre
L'acteur Simon Rex brille par son interprétation de maître dans Red Rocket. Une déferlante de sentiments se partagent le même visage, mi-séduisant mi-perdu de Mikey Saber, qui, se cachant derrière des sourires de façade crée un labyrinthe, et finit par s'y perdre. Et nous avec. L'évolution du personnage, du pathétique en passant par l'espoir pour retourner au pathétique, sonne juste. Simon Rex se met dans la peau d'une ex-star du Porno qui, après un passage en prison, essaie de survivre. Il retourne dans sa ville natale de Texas City et demande de l'aide à son ex femme Lexi - théoriquement sa femme puisqu'ils ne sont pas divorcés - qui elle-même habite chez sa mère (Brenda Deiss). On apprend que Lexi (interprétée par Bree Elrod, vue dans Shutter Island, 2010), l'a quitté des années auparavant après avoir été sa partenaire dans les films pornographiques. Tombée dans la drogue (héroïne), elle est retournée vivre chez sa mère. Dès lors, ces deux femmes deviennent l'unique point de subsistance pour Mikey. Mais la minuscule maison qu'elles habitent n'est qu'une bicoque de misère. Elle fait d'ailleurs face à une raffinerie, omniprésente dans les plans, qui déverse sa pollution et tire brutalement du sommeil Mikey, le seul qui n'est pas habitué à l'alarme retentissante d'une industrie pourtant dépassée qui a l'air d'annoncer sa propre mort imminente.
Imbibé de toxicité par son travail d'acteur porno de Los Angeles, il continue à être rejeté par ceux qui l'entourent. Sean Baker pointe ainsi subtilement les problématiques du film porno qui détruit tellement de vies aux États-Unis. Parmi ses conséquences, on compte le retour irrémédiable des hommes vers leurs femmes, broyées elles-aussi, mais qui les sauvent d'une vie de déshérence. Dans la chaleur étouffante de l'été 2016, qui accouchera de l'élection de Donald Trump, Mikey tente simplement de survivre.
Lexi (Bree Elrod) et Mikey Saber (Simon Rex), dans Red Rocket de Sean Baker, 2021. Productions, LLC
Histoire grise
Contrairement à Lexi et sa mère qui, résignées, ont abandonné tout espoir Mikey croit à sa survie. Elles enchaînent les cigarettes et les show télévisés (dont la campagne de Trump fait partie intégrante), mais lui reste confiant et gagne un peu d'argent en dealant de la drogue à vélo. Pour les sortir de leurs triste vie à mourir, il les invite au restaurant du coin, le "Donuts Hole". Il faut porter attention aux signes symboliques de ce film. En entrant dans ce fast food, ils tombent tous littéralement dans un trou, comme Alice dans Alice au pays des merveilles (Lewis Caroll, 1865). Lexi et sa mère s'empiffrent de sucre au point de se transformer en glucide, à l'instar des parents de Chihiro (dans Le Voyage de Chihiro, de Miyazaki, 2001) qui, consommant à outrance de la charcuterie se métamorphosent en cochons. Quant à Mikey, il change lui aussi de réalité. Charmé par la jeune vendeuse de Donuts (interprétée par Suzanna Son), il entre dans un monde fantastique. Soulignons que la vendeuse, de dix-huit ans, a pour prénom le nom d'un fruit, et par n'importe lequel : la fraise. Elle vend donc beaucoup de rêves. Le merveilleux devient alors la manière d'être au monde de Mikey. Jusqu’au moment où l'étau se resserre, à moins que ce rêve éveillé ne soit réel... Stawberry existe-t-elle vraiment ? La large ouverture aux interprétations donne à l'enceinte de ce film un miroitement imbriquant fiction et réalité et offre aux spectateurs une véritable réflexion sur ce qui rend nos expériences bel et bien réelles.
À l'issue de sa représentation au Festival de Deauville, Sean Baker nous avoue qu'il était attaché à raconter une histoire "grise", ni noire ni blanche, qui n'était pas un "prêche sociologique", comme ces derniers films dont The Florida Project (2016) et Tangerine (2012 - Grand prix du Festival de Deauville cette année-là). C'est la crise sanitaire qui lui a permis d'avoir ce recul sur ses dernières productions et l'a propulsé à proposer un autre style de film. Ce témoignage de vies brisées par le cinéma du porno, au fin fond du Texas, est une réussite à tout point de vue, que cela soit du côté technique - tournage difficile en pleine pandémie, tout petit budget, les acteurs n'ayant eu que 3 jours pour repérer les lieux de tournage qui lui-même ne dura pas plus de 6 semaines, etc - que du côté narratif. Sean Baker enregistre l'âme brisée des Etats-Unis, pays de l'excès à tout point du vue (économique, politique, sexuel, alimentaire...). Ce film est donc assurément à voir, et à re-revoir.
Mickey Saber (Simon Rex), dans Red Rocket de Sean Baker, 2021. Productions, LLC
Apolline Limosino
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