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"Si peu" de Marco Lodoli




C’est la voix d’une vieille femme qui déplie sa vie, retraçant son unique but : se tenir près de l’homme aimé. Quarante ans resserrés en quelques très belles pages. C’est la vie d’une personne invisible, concierge d’une école à Rome, qui est obsédée par un professeur.


L’école, où tous deux exercent, devient alors le lieu de l’attente renouvelée chaque jour. L’attente, un frôlement, quelques regards, l’attente… Cette femme stagne dans une docile immobilité. Tandis que lui évolue dans un perpétuel pas de course.


Elle, à son poste de concierge, nettoyant les classes et les toilettes ; lui, passant en coup de vent, donnant des cours décousus à ses élèves dubitatifs. Mais sous ses airs de timide concierge, une part obscure voire psychotique, fend l’armure. La lune gravite trop fort autour de sa Terre.


Le pathos narratif est servi par une langue ultra intense. L’écriture de Marco Lodoli, éthérée, charrie de lourds sentiments. Au point que des phrases lapidaires sur un viol, un avortement ou des passages à l’acte morbides (vécus ou hallucinés) restent en mémoire, comme une tache indélébile.


C’est l’histoire de l’extrême faiblesse d’une femme que la solitude puis la folie gangrènent. Et l’amour infini qu’elle pense vivre, n’est rien d’autre qu’un désastre fini.



Premières lignes :


"Je sais tout ça, évidemment, la vie est changement, c’est une chose étrange qui doit constamment se transformer pour ne pas se dessécher, eau qui coule, qui écume, qui irrigue, qui file vers la mer. Je l’ai entendu cent fois de la bouche de gens qui sont bien plus calés que moi, et je crois qu’ils ont raison : si ça ne tourne pas, la roue se bloque, elle devient fer rouillé, tétanos. Les saisons passent, les feuilles poussent, tombent et repoussent et tout change. Mais moi, j’ai toujours été au même endroit, immobile, racine piquée dans une dévotion qui est peut-être de l’amour ou peut-être simplement de la peur. Pourtant, même aujourd’hui où je suis vieille, une toile de petites rides autour des yeux et dans la bouche moins de dents, aujourd’hui encore je n’ai pas de regrets. Je suis restée là, parce que partout ailleurs dans le monde je me serais sentie seule, inutile, mauvaise. J’avais besoin de le voir chaque matin, d’échanger avec lui un rapide bonjour, et d’imaginer que sans moi, qui ne suis presque rien, il se serait égaré dans l’existence comme un enfant dans la forêt.


Je me souviens parfaitement du premier jour où je l’ai vu, bien que près de quarante ans se soient écoulés."


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