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Thomas Hauser, architecte du temps

Le Révélateur, antenne parisienne du Collège International de Photographie expose le travail de Thomas Hauser jusqu'au 8 avril prochain. L'occasion de découvrir une œuvre photographique atypique qui interroge l'ossature du temps.


Thomas Hauser, Fouilles, 2019., 2022, Impression pigmentaire et toner sur papier photo couleur RC, 75 x 98 cm, Série : Le stable et l'effondré

Disparitions


Douze mètres carrés ce n'est pas grand, mais avec les œuvres de Thomas Hauser, l'espace du Révélateur, situé dans la Galerie Montpensier, se trouve agrandi. Basé à Marseille, près des Calanques minérales, ce photographe fixe ses sujets - statue, personne, architecture, nature - à l'aide d'un appareil argentique. Il numérise par la suite les négatifs, avant de les imprimer sur du papier photo-sensible. Le rendu offre alors des photos texturées, parsemées de puits de lumière qui jaillissent ça et là, trouant l'image, ou au contraire la comblant d'obscurité. À bien y regarder, l'image "réelle" échapperait donc à la vue du spectateur. Mais si le terme de réel désigne, pour le philosophe Clément Rosset, l'ensemble des perceptions qu'on en a, alors Thomas Hauser le saisit particulièrement bien. Car que voit-on dans ses photographies ? L'usure du temps, et c'est très beau.


Rarement le procédé photographique - à savoir capturer l'instant présent-déjà-passé - a aussi bien été mis en abîme. Thomas Hauser relate cette disparition en condamnant lui-même ses photos, amenées à disparaître au fur et à mesure de leur exposition à la lumière. Travaillant aussi bien la forme que le fond, le photographe nous plonge alors dans un autre rapport au temps qui rend ses oeuvres d'autant plus précieuses qu'elles ont, de la même manière qu'un corps, un effacement programmé. Cette disparition organique offre à la photo ce dont elle est, par essence, privée : du mouvement et une profondeur narrative, voire cinématique. Si elles ont leur "capital soleil" et se meuvent jusqu'à un certain point, le fait que nous ne puissions anticiper leur fixation, fait flotter sur l'image un sentiment d'urgence à imprimer la pellicule sur notre rétine.


Thomas Hauser, Module #183 (2021). 2022, Miroirs, impression laser, papier argentique, verre, 82 x 83 cm, Pièce unique


Souvenirs égratignés


Après avoir présenté aux Rencontres d'Arles (2018) son projet inédit "The Wake of Dust", Thomas Hauser dépose au Révélateur quelques uns de ses nombreux "Modules". En assemblant ses clichés, par strate successive, à des matériaux qui ont tous un lien avec l'image et sa fabrication, il interroge la mémoire photographique. Car ses modules sont des objets du souvenir : on sent la peau (de chair ou de pierre) qui affleure derrière le marbre et ses cristaux de calcite. Ici un pied de statue, là une nuque adolescente comme protégée par le miroir qui la maintient à distance. Thomas Hauser ne déconstruit pas mais au contraire assemble un monde fait d'étranges palimpsestes, et ce faisant, recompose une série d'histoires. Parmi les oeuvres les plus émouvantes on compte ses personnages de dos ou accroupis qui se trouvent, en douce, derrière une matière qui fait obstacle. Bel obstacle que de franchir des morceaux de roche métamorphique, fragments de la croute terrestre, ou des miroirs, pour trouver des négatifs, qui apparaissent si fragiles.


Thomas Hauser, Module #183_2 (2021-23). 2023, Marbre, miroir, impression pigmentaire et toner sur rhénalon, 82 x 83 cm, Pièce unique

Thomas Hauser décentralise l'objet photographique et n'envisage pas le regard comme seul activateur de l'image, mais l'ensemble, l'hétérogène, le mixe et le partage des genres : miroirs et argenture exposée à l'air libre, cuivres et autres feuilles métalliques, plaques de gravure, verres, marbre, aimant ou béton. Thomas Hauser joue de la ruine et assemble sans jamais les fixer des modules précaires qui sont parfois à même le sol, à l'aune de la tête de statue classique posée à l'envers sur un fragment de tôle repliée, de telle sorte que ce fragment devient un portrait sur fond noir. Retouchant ses modules quand il le souhaite jusqu'à la vente, leur ré-agencement même fait état du temps qui passe, et qui trépasse.


Apolline Limosino


Thomas Hauser, Module #401 (2022). Pierre, plomb, 53 x 75 cm, Pièce unique

Thomas Hauser, Module #280, 2021., 2022 Marbre, cuivre, impression laser, bitume, verre 25 x 50 cm Oeuvre unique


- À voir : Exposition Thomas Hauser x Le Révélateur, jusqu'au 8 avril 2023 - 15 Galerie Montpensier, 75001 Paris. Du mardi au samedi (13h-19h)


- À venir : Thomas Hauser exposera prochainement au Centre Photographique de Marseille. Plus d'informations : https://www.centrephotomarseille.fr/a-l-oeuvre-2

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