Elle marche dans les marais. Sa robe en coton plissé, blanche et légère, laisse apercevoir ses épaules, de si petites épaules, et ses bras encore légèrement potelés par l'enfance. Cette petite fille marche, et derrière elle un cheval se tient immobile. Il la regarde partir. C'est un jour de juin, en pleine Camargue, il fait 28 degrés sous les nuages. La robe de l'étalon, aussi grise que le sol est rocailleux, contraste avec la robe immaculée de l'enfant. Calme amazone, l'enfant quitte un cheval qui, lui, ne la quitte pas des yeux. Elle semble faite "de mistral, de sel et de courage", comme ce qu'on raconte souvent à propos des chevaux de Camargue, ceux qui vivent en liberté dans les marais du delta du Rhône, amis des aigrettes et des hérons, et qui supportent aussi bien les vents violents, le froid mordant de l'hiver que l'humidité et les étés caniculaires. D'ailleurs, l'air est de plus en plus chargé, odeur d'étincelle et de fruits trop mûrs prêts à exploser. Un orage approche, il est temps de se mettre à l'abri. Elle marche avec une aisance déconcertante, droite comme la justice et légère comme une plume. À travers sa posture, précise et naturelle, elle semble détenir un secret. Peut-être que le cheval lui a livré quelques contes, lui qui vit ici depuis des temps immémoriaux. Chaussée de simples sandales, elle évolue tout en pudeur, en symbiose avec l'air chaud, le sol aride, et les chevaux sauvages qui l'entourent. Elle laisse derrière son passage une légère effluve de camomille et de riz au lait, signe d'une enfance douce et rêveuse. Le vent joue avec ses cheveux, elle le laisse faire car aime la mélodie des bourrasques l'été. Tournant la tête délicatement, frôlant du regard l'équidé pour lui dire au revoir, sa longue crinière auburn est plaquée contre son visage. Ses traits sont cachés mais on devine son sourire, ses joues rebondies et ses yeux en amande, rieurs et malicieux. Elle ne voit plus où ses pieds se posent, mais ça ne la dérange pas, elle est infaillible comme le cheval qui la regarde toujours. Lui, hésitant à la suivre, elle, alignant des pas sûrs et relevés, promesses de longues foulées. Ils ancrent leur corps dans la terre. Inébranlables, ils semblent appartenir à la même légende : être né de l'écume de la mer. Ils en tirent une certaine force, une certaine endurance, une grâce certaine : la liberté des gestes et la plénitude du mouvement.
Une petite fille marche dans les marais. Elle quitte un cheval qui lui manque déjà mais qu'elle est sûre de retrouver, en réalité ou en rêve, qu'importe, elle le reverra.
Apolline Limosino
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