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Carnet de Festival du Film Américain de Deauville, jour 6

9 septembre 2021 : les deux films de la compétition, Red Rocket et We burn like this, se situent dans des villes où les usines sont placées en leur milieu. Si dans le premier, les usines deviennent presque un personnage à part entière, dans le deuxième leur inclusion reste brouillonne, comme tout le reste. Après la grande déception de cet avant-dernier long-métrage de la compétition, la journée s'est terminée en beauté grâce au talent d'Asghar Farhadi. Son dernier film, Un Héros, sera en salle le 15 décembre prochain.



Red Rocket, de Sean Baker / (Compétition - doublement récompensé, Prix de la Critique et Prix du Jury, ex aequo avec Pleasure de Ninja Thyberg), en salle le 2 février 2022


Mickey Saber (Simon Rex), dans Red Rocket de Sean Baker, 2021.


L'acteur Simon Rex brille par son interprétation de maître dans Red Rocket ; l'évolution du personnage, du pathétique en passant par l'espoir pour retourner au pathétique, sonne juste. Une déferlante de sentiments se partagent le même visage, mi-séduisant mi-perdu de Mickey Saber, qui, se cachant derrière des sourires de façade crée un labyrinthe, et finit par s'y perdre. Simon Rex se met dans la peau d'une ex star du Porno qui, après un passage en prison, demande à son ex femme Lennie - théoriquement sa femme puisqu'ils ne sont pas divorcés - qui elle-même habite chez sa mère, de l'aide. On apprend que Lennie (interprétée par Bree Elrod, vue dans Shutter Island, 2010), le quitta des années auparavant après avoir été sa partenaire dans les films Porno, et tomba dans la drogue (héroïne). Lennie devient dès lors l'unique point de rattache de Mickey, et cette minuscule maison, bicoque de misère face aux usines omniprésentes - arrière plan de la ville, alarme sonore en cas d'alerte qui les tire du sommeil - devient son lieu de subsistance. Imbibé de toxicité par son travail d'acteur porno de Los Angeles, il continue à être rejeté par ceux qui l'entourent, à savoir sa famille et ses voisins. Sean Baker, le réalisateur, pointe les problématiques du film porno qui font des ravages aux Etas-Unis. Parmi ces conséquences, on compte le retour irrémédiable des hommes du film X vers leurs femmes, broyées, qui les sauvent souvent d'une vie de déshérence. Un sacré revers de médaille quand on pense que ce sont les hommes qui reçoivent les "prix de la meilleure fellation", et non les femmes alors que ce sont elles qui "font tout le boulot" comme l’indique Strawberry (interprétée par Suzanna Son), une vendeuse de Donuts.

Le fait que Mickey doive retourner à des combines de dealers, et qu’à la « maison » il n’y ait aucune issue de secours, seulement des rituels tristes à en mourir - cigarettes et tv show en boucle - vident certainement l’espoir de Mickey au point qu’il se raconte une histoire, tel un conte hollywoodien, et commence à la vivre. jusqu’au moment où l´étau se resserre. À moins que ce rêve éveillé ne soit réel... La large ouverture aux interprétations donne à l'enceinte de ce film un miroitement imbriquant fiction et réalité et offrant aux spectateurs une véritable réflexion sur ce qu'ils viennent de voir. Sean Baker nous avoue qu'il était attaché à raconter une histoire "grise", ni noire ni blanche, qui n'était pas un "prêche sociologique", comme ces derniers films dont The Florida Project (2016) et Tangerine (2012 - Grand prix du Festival de Deauville cette année-là). C'est la crise sanitaire qui lui a permis d'avoir ce recul sur ses dernières productions et l'a propulsé à proposer un autre style de film. Ce témoignage de vies brisées par le cinéma du porno, au fin fond du Texas, est une réussite à tout point de vue, que cela soit du côté technique - tournage difficile en pleine pandémie, Simon Rex n'ayant eu que 3 jours pour repérer les lieux de tournage qui lui-même ne dura pas plus de 6 semaines, etc - que du côté narratif, ce film est assurément à voir, et à re-revoir.


*Red Rocket a été doublement récompensé : il a reçu le Prix de la Critique ainsi que le Prix du Jury (ex aqueo avec Pleasure) ; il le mérite assurément. Le jury est composé de Bertrand Bonello, Delphine de Vigan, Mikhaël Hers, Garance Marillier, Fatou N'Diaye, Denis Podalydès - de la Comédie Française - Marcia Romano, SebastiAn, sous la présidence de Charlotte Gainsbourg.



We Burn Like This, d'Alana Waksman / (Compétition), en salle prochainement


Chryssie B. (Devery Jacobs) et Rae (Madeleine Coghlan) dans We Burn Like This, d'Alana Waksman, 2021. Armian Pictures


Doit-on se fier au synopsis des films ? Pas à celui-là. Car s'il nous est est conté que c'est une traque de néonazis contre une jeune descendante de survivants de l'Holocauste, cela ne correspond en rien au film que j'ai vu. Selon moi, c'est un récit bancal, il ne s'agit guère d'une vraie traque, "seuls" des prospectus et une ambiance néonazie règne - de nouveau légitimée par l'entrée au pouvoir de Donald Trump nous explique la réalisatrice - mais la jeune femme n'est pas traquée à proprement parlé. Elle déambule, perdue, on ne sait pas vraiment pourquoi, passant ses nuits à boire des shots dans des bars, et ses jours à se remettre de ses cuites, puis à peindre de toutes petites toiles. La peinture arrive comme un cheveu sur la soupe, elle ne colle guère au personnage puisque ce dernier n'a absolument aucune évolution : le jeu de Madeleine Coghlan s'empêtre sur lui-même, jusqu'à ce qu'il soit carrément grotesque. Toujours ce même air buté et confondu ou jovial et faux. Sa peinture semble ne servir qu'à donner une valeur ajoutée à la narration, elle "remplace les mots", selon la réalisatrice. En effet, les dialogues sont quasi nuls (!) et lorsqu'ils existent ils sont d'une vacuité extrême ou très maladroitement joués : comme la scène avec sa mère dans le bar ou avec sa copine lors du vernissage. Je gardais l'espoir que le film commence à un moment donné, mais rien, rien que du vide qui plane, des tentatives de décollage - changement de ville - qui se soldent par des échecs - aucune compréhension du véritable mal être de la jeune femme, et de ses choix.


Pour un tel sujet, la douleur intergénérationnelle des familles Juives ayant vécu l'Holocauste, qui me tient particulièrement à cœur, il aurait été au moins souhaitable que le script soit plus complexe - généalogie trop faible - et les personnages non pas de simples pantins. Bien que tiré d’évènements autobiographiques, We Burn Like This manque à tous ses devoirs : une grande platitude malgré un titre intéressant et de premiers flashbacks qui font croire aux spectateurs que l'on découvrira quels sont les traumatismes, qui sont ses ancêtres, leurs histoires et leurs force, mais non, un effacement total de l'émotion nous rend insensible. Enfin, le fait que tout repose sur les plans serrés du visage de Madeleine Coghlan, toujours aussi buté et perclus, devient même vite ronflant et on est soulagés que le film ne dure qu'une heure et vingt minutes.



Un Héros, d'Asghar Farhadi / (L'heure de la Croisette), en salle le 15 décembre 2021


Rahim (Amir Jadidi) et son fils, dans Un Héros d'Asghar Farhadi, 2021. Mémento Distribution


Asghar Farhadi est un trésor pour le cinéma iranien, il dépeint avec une rare préciosité la société iranienne, où religion, morale et liberté s'entrechoquent brutalement. Il a conquis le public français avec Une Séparation (2011) et Le Passé (2013), deux coups de coeur. Avec un titre dans la même veine lapidaire que ces précédents films, Un Héros est encore une fois une belle réalisation. Grand Prix et Prix de la Citoyenneté du Festival de Cannes 2021, ce héros iranien n'est autre que l'histoire de Rahim (Amir Jadidi, aussi solaire que fumeur), un homme fondamentalement bon qui se retrouve en prison après avoir fait faillite. Il doit rembourser une dette, et profite d'une permission de deux jours, afin de trouver une solution - rendre à sa propriétaire un sac contenant des pièces d'or trouvé en pleine rue - afin que son créancier retire sa plainte. Forts de ceci, les responsables de la prison, trouveraient ainsi une opportunité, celle de mettre en lumière médiatiquement un de leurs prisonniers comme "exemplaire" dans le but de faire oublier les suicides qui ont lieu entre leurs murs.


C'est alors que s'enchaînent des rebondissements de toute part - souvent dus aux conséquences désastreuses du système médiatique gouverné par les réseaux sociaux - embarquant le spectateur dans des diatribes et des silences qui durent 2 heures, le temps nécessaire à Rahim de comprendre que la bonté n'est parfois pas la meilleure des amies. C'est une fois encore entre la cuisine et le salon que tout se passe, la cellule familiale tantôt éclate, tantôt se réconforte. Mais la caméra de Farhadi sait parfaitement se positionner aux interstices des pièces, dans l'embrasure des portes, entre les marches, les cages d'escalier et les paliers de porte, ces lieux de passage qui sont pourtant des lieux purement cinématographiques au sens où c'est ici que les plus forts sentiments du film se glissent et les émotions des spectateurs naissent, le cœur lourd de chagrin.


Apolline Limosino

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