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Carnet du Festival du Film Américain de Deauville, jour 1

4 septembre 2021 : Un beau Blue Bayou, un (dé)Pleasure et un riche documentaire sur les oiseaux d'Amérique.


Ce premier jour a commencé dans la brume. Mais une douce brume, elle emmitouflait les petites collines normandes à mesure qu'elle s'évaporait de l'océan. Il faisait doux et cette tiède atmosphère, bientôt percée par les embruns rafraîchissants, a permis une transition entre Deauville et le bayou d’une petite ville de la Louisianne.


Blue Bayou, écrit, réalisé et interprété par Justin Chon / (Compétition - Prix du Public de la ville de Deauville) en salle le 15 septembre 2021


Kathy (Alicia Vikander) et Antonio (Justin Chon) dans Blue Bayou de Justin Chon, 2021. Universal Pictures



Ce film, Blue Bayou, conte l'histoire d'un jeune Coréen-Américain, Antonio Leblanc (interprété par le réalisateur Justin Chon), qui se voit soudainement forcé de quitter les Etats-Unis, là où il vit depuis 30 ans. Sa lutte, avec sa famille, sa femme enceinte et sa fille, Jessie, est éprouvante. Il faut lutter contre les policiers véreux et ultra violents et contre le système en soi, qui expulse à tour de bras des individus adoptés avant 2000 et qui n'ont pas renouvelé leurs papiers depuis. Ce qui m'a plu ce sont les séquences où le réalisateur expérimente de nouvelles choses : les flash-back devenant comme des interférences, le lien aussi intime qu’ultime qui unit Antonio et l’eau, une bande-son très hétéroclite, ainsi que les sorties à moto qui sont autant des bouffées d'air pour fendre la route, que les révélatrices de fantômes appartenant au passé. Sur sa moto ambrée, symbole de puissance, les forces fondent et un délitement, de la vie en tant que telle, se produit - larmes qui roulent sur mes joues. La deuxième image marquante du film se situe lors de la scène finale, où il s'agit à présent d'un arrachement - il m'a fallu réprimer un spasme de sanglot. Pour ceux qui trouvaient qu’il en « faisait trop », j’ai ressenti tout l’inverse : Justin Chon réalise - et joue - avec conviction et justesse. Il n’en rajoute pas, il montre la vérité qui parfois déborde ce qu’on attend de la fiction. C’est un film sur la limite de nos choix : au choix d’aimer, l’abandon revient en boomerang, au choix d’« aller nulle part », revient le déracinement forcé.


* Blue Bayou a reçu le Prix du Public de la ville de Deauville.



En sortant, quasi directement sur la plage, la brume s’était dissipée. Le soleil resplendissait, le bleu de l’océan vibrait, comme dans les tableaux de Joaquín Sorolla. Remise de mes émotions grâce au sable chaud, je n’ai cependant pas pu rester dans mon siège toute la durée du deuxième film en compétition.



Pleasure de Ninja Thyberg, 2020. The Jokers



Pleasure de Ninja Thyberg / (Compétition - Prix du Jury, ex aequo avec Red Rocket de Sean Baker) en salle le 20 octobre 2021


Pleasure, de Ninja Thyberg, sort en salle le 20 octobre, et est interdit au moins de 18 ans. La réalisatrice nous avait prévenu avant la projection, c’est une plongée dans l’industrie du film pornographique à Los Angeles et il est permis de se « cacher les yeux ou boucher les oreilles » si les scènes sont trop dérangeantes. La scène d'introduction est déjà très théâtrale : l'écran est noir mais les sons issues d'une partouze sont bruyants. Ils montent dans les aigus de manière crescendo jusqu'à un final où l'injonction "défoncez-moi!" cohabite avec une musique classique sacrée, surfaite.


Peut-être est-ce dû à l’empreinte des lieux dans lequel le film est tourné - tous véridiques, et des personnages, tous appartenant bel et bien à cette industrie du porno, que j’ai fui ce film. Le fait que le réel glisse ainsi sur la patine de la fiction me le rendait poisseux. Seule Sofia Kappel, est actrice, pour la toute première fois devant une caméra. Elle joue Bella, jeune suédoise venue aux Etats-Unis pour le « plaisir », avec la ferme intention de devenir la nouvelle star du porno. Elle va apprendre, sur le tard, les conséquences de son désir : un monstre à mille têtes d'une violence nauséabonde. Peut-être qu'une porte d'entrée différente autre que l'immersion choc - pour témoigner de ce monde sordide aurait été plus soutenable, et édifiant. Nonobstant les intentions de la réalisatrice qui semblaient être les meilleures - elle a mis 6 ans à réaliser ce film, mené des recherches de fond pendant 5 ans, a réalisé un premier court métrage (Pleasure, 2013), et dit qu’elle « était née pour faire ce film ».


* Pleasure a reçu le Prix du Jury, ex aequo avec Red Rocket, de Sean Baker. Le jury est composé de Bertrand Bonello, Delphine de Vigan, Mikhaël Hers, Garance Marillier, Fatou N'Diaye, Denis Podalydès - de la Comédie Française - Marcia Romano, SebastiAn, sous la présidence de Charlotte Gainsbourg.


Birds of America, de Jacques Loeuille, 2020. Météores Films


Birds of America de Jacques Loeuille / (Les Docs de l'Oncle Sam) au cinéma le 30 mars 2022


Ce documentaire part des planches du naturaliste français Jean-Jacques Audubon et signe une oeuvre qui allie la nature et la science. C’est comme un écho à la très intéressante exposition « Les Origines du monde, L'invention de la nature au siècle de Darwin », qui eut lieu au Musée d’Orsay cette année et qui a d'ailleurs exposé certaines de ses planches. Peu connu en France, mais figure quasi populaire aux USA, Audubon a parcouru le Mississipi au début du XIXème siècle. Passionné par la nature, par le voyage aux extrêmes topographiques et par une étude complète, il était aussi un écologiste avant l’heure, préfigurant les désastres qui ont court aujourd’hui. Audubon n’a cessé de travailler à reproduire obstinément les animaux qu’il observait, et ce d’une toute nouvelle manière pour l'époque, délaissant les postures figées pour apporter le mouvement. Ainsi, des centaines d’oiseaux, aujourd’hui disparus, reprennent vie sous nos yeux, grâce au bruitage chantant et à une caméra souple et lente à la fois, laissant le temps à nos regards de s’imprégner des dessins. Le documentaire de Jacques Loeuille vient à point nommer contredire le fait que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Birds of America met en avant la cartographie ensanglantée de l’Ouest Américain, et interroge les membres des anciens peuples amérindiens, de moins en moins nombreux. Comme Audubon, Loeuille répertorie, mais à la place des oiseaux, il enregistre les mémoires des peuples sur le bord de la disparition, dont les terres s’érodent à une vitesse folle. Ce qui le tient à coeur, et que l’on décèle à travers le montage de son documentaire - voix off décrivant une végétation luxuriante alors qu’à l’image défilent les usines crachant leurs fumées et les paquebots - c'est d’ébaucher l’idée qu’avec la disparition de la Nature, nos potentiels d’imaginaire vont du même coup s’altérer.

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