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"Pastels. De Millet à Redon" De fleurs et de craies

Au musée d'Orsay, les pastels d'Edgar Degas, Mary Cassatt, Berthes Morizot... s'exposent. Une occasion de découvrir des fonds exceptionnels, d'ordinaire conservés à l'abri dans les réserves du musée - l'obscurité et la mise à plat préservant la survivance de leurs couleurs. Une exposition humble, malgré la préciosité de ses joyaux.


Jean-François Millet, "Le Bouquet de marguerites", vers 1871, Pastel sur papier beige et châssis entoilé, H. 70,3 ; L. 83,0 cm. musée d'Orsay, Paris

Une scénographie au service des oeuvres


Après une importante campagne de restauration, près de cent pastels ont quitté les réserves des arts graphiques pour rejoindre les murs du musée. L'ancienne gare d'Orsay, spécialisée dans l'art occidental de la seconde moitié du XIXème siècle, retrace justement cette époque où le pastel vivait ses heures de renouvellement les plus fécondes. Située dans la partie basse du musée, tout près du nouvel espace Opéra, l'exposition est petite - moins de 100 pastels sur les 500 que comptent la collection - mais dense. En effet, tous peuvent être qualifiés de chefs d'œuvre. Le défi était donc de taille : comment rendre attrayante la monstration des toiles de grands maîtres ? Ceux-là même qui tiennent, presqu'à eux seuls, l'Histoire de l'art ? Or le pastel est une douce manière de renouer avec eux et d'appréhender autrement leur processus créatif.


Pédagogique, sans toutefois tomber dans un didactisme pur, l'exposition accueille soigneusement ses visiteurs avec "Le Bouquet de marguerites" de Millet, et des bâtonnets de pastel. Pari tenu donc d'éveiller notre curiosité et de présenter aussi bien l'art que sa matière, traçant déjà le lien étroit entre fleur et pastel. Cette fameuse "fleur"n'est autre que la formation des pigments à la surface du support, texture inépuisable où se logent de flamboyantes couleurs et des tracés intemporels. La scénographie met moins l'accent sur la renommée des grands maîtres, que leurs techniques pour s'approprier cette "fleur", figurant chacun leurs propres carnations, plus ou moins sensuelles, et leurs propres ciels, plus ou moins silencieux.


Marguerite Carpentier, "Marguerite Cahun dans l'appartement du boulevard Raspail", 1910, Pastel sur papier marouflé sur toile, avec cadre H. 54,8 ; L. 45,7 cm, Musée d'Orsay, Paris

À l'aube d'une époque dite moderne, le pastel offre une liberté de tons aux artistes masculins et féminins. Qualifié à tord comme un art du divertissement, il était, de fait, souvent usité par des femmes, à l'aune de Marguerite-Jeanne Carpentier ou d'Eva Gonzalès. Une véritable aubaine, qui permet aujourd'hui de confronter leurs vifs regards sur elles-mêmes ou sur leurs maternités à celui des hommes, spectateurs avides d'un monde féminin bien souvent idéalisé.


Le pastel, volatile mais complexe


La discrétion des cartels est un plus : concis, ils se mélangent avec la couleur de chaque salle, soulignant d'abord les oeuvres, avant le texte. En huit thématiques, l'exposition retrace la pluralité des sujets qu'embrassèrent les pastellistes : Sociabilités, Terre et mer, Modernités, Essence de la nature, Intérieurs, Intimités, Arcadies, Âmes et chimères. Le pluriel de chaque espace est à prendre à la lettre, car le pastel est bien un médium constitué d'une immense palette de jeu. Au-delà des portraits aristocratiques, on (re)trouve les travaux agricoles grâce aux pastels de Jean-François Millet qui font étroitement écho à l’art flamand et hollandais du XVIIe siècle.


Édouard Vuillard, "La Table servie", vers 1915, Pastel sur papier beige, H. 26,7 ; L. 31,9 cm, Musée d'Orsay, Paris


Facilement transportables, les bâtonnets de pastel permettent aux artistes de croquer la nature sur le motif. Le calme impérial dégagé par le "Départ pour la pêche" de Piet Mondrian contraste avec l'effervescence des bords de plage d'Eugène Boudin. Entre les deux, le pastel sait également brouiller les pistes : la mélancolie n'a pas son pareil dans les pastels de Paul Helleu, Georges Lebrun ou d'Édouard Vuillard. Ils utilisent diverses techniques - hachures, striures, vide, voire pointillisme - pour représenter, in fine la même chose : des présences fantomatiques.


Alors qu'un simple effleurement peut être synonyme d'une disparition, le pastel demeure, chez Degas, particulièrement solide. Ce contraste est l'intérêt incontournable de cette exposition où une fragile "Repasseuse", résonne finalement de tout sa force, de toute sa fatigue aussi. Cette oeuvre, qui ne jouit pourtant pas d'une place de choix dans le parcours - située dans un couloir - est sublime. C'est aussi cela qui rend le parcours agréable : le vagabondage de salle en salle n'altère en rien la compréhension de l'ensemble, et confère à chaque oeuvre une égalité dans l'acception du regard que nous lui portons.


Edgar Degas, "La Repasseuse", 1869, Fusain, craie blanche et pastel sur papier, H. 74,0 ; L. 61,0 cm, Musée d'Orsay, Paris

Vibrantes, les "Danseuses" et "Baigneuses" de Degas semblent se mouvoir sous nos yeux. Si ce-dernier place le pastel au centre de son art dès 1888, il est une rareté chez Claude Monet, dont un pont bleu londonien ondule tranquillement dans un dégagement. Un peu plus loin, les veloutés des pastels de Lévy-Dhurmer sont admirables, et les arbres du Nabi hongrois Josef Rippl-Rónai irradient dans un nocturne quasi photographique.

Les grains des pastels palpitent, trompent l'oeil et nous submergent, mais leurs mystères restent entiers.


Apolline Limosino


Jozsef Rippl-Ronai, "Un parc la nuit", entre 1892 et 1895, Pastel sur papier, marouflé sur toile, H. 38,4 ; L. 46,2 cm, Musée d'Orsay, Paris

- À voir : L'exposition "Pastel. De Millet à Redon" est visible au Musée d'Orsay depuis le 14 mars et jusqu'au 02 juillet prochain.
Commissariat : Caroline Corbeau-Parsons, Conservatrice des arts graphiques au musée d'Orsay

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